La situation des femmes et des filles est assez préoccupante au Cameroun. Avec l’apparition des foyers de violence terroriste et sécessionniste, on a assisté à un net recul par domaine ou secteur des acquis qui avaient mis du temps à se consolider et à braver les pesanteurs socioculturelles, le patriarcat de la société et les volte-face politiques : réduction des disparités de genre, notamment la mortalité maternelle, la scolarisation de la petite fille et de lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles, amélioration de la représentativité politico-administrative, autonomisation socioéconomique, etc.

Les données de 2019 révèlent que sur le plan socioéconomique, les femmes constituaient 51,5 % des personnes vivant sous le seuil de pauvreté sur une moyenne nationale de 39 %. Pourtant, elles consacraient en moyenne 8,2 heures de plus par semaine aux travaux domestiques non rémunérés et sont à 79,2 % en situation de sous-emploi. Le taux de chômage féminin était de 4,5 % contre 3,1 % chez les hommes. Selon les zones de crise, le taux d’analphabétisme était plus élevé chez les femmes que chez les hommes. Par ailleurs, 50,6 % de femmes contribuaient au financement des dépenses du ménage et 63,2 % à leurs dépenses personnelles. Mais elles étaient seulement 3 % propriétaires d’une maison sans titre foncier et 1,6 % étaient propriétaires d’un titre foncier en leur nom.

S’agissant des violences à l’égard des femmes et des filles, les statistiques montraient que 54,6 % de femmes ont été victimes d’une quelconque forme de violence à partir de 15 ans contre 9,8 % chez les hommes. Les violences conjugales touchaient 52,6 % de femmes ; 1,4 % des femmes ont subi des mutilations génitales avec des proportions atteignant 20 % dans les régions de l’Extrême Nord et du Sud-Ouest. Par ailleurs, le mariage précoce touchait 11,4 % de jeunes filles. Sur le plan politique, malgré les efforts consentis par les autorités publiques, les femmes demeuraient faiblement représentées à des fonctions politiques et au sein de la haute administration [1].

Au regard de ce contexte de fragilité, les femmes et les jeunes filles en particulier se sont avérées être très exposées à la radicalisation menant à la violence ou encore durant les assauts et contre-attaques des groupes terroristes et forces républicaines. Il arrive par ailleurs qu’elles jouent plusieurs rôles en situation de terrorisme : victimes, actrices de la violence, promotrices et consolidatrices de la paix.

Femmes victimes de la violence extrémiste d’origine terroriste

Dans un climat d’insécurité généralisée, les femmes sont impactées non seulement par les maux qui touchent l’ensemble de la population civile, mais elles sont aussi les victimes privilégiées de violations spécifiques et graves du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, comme le viol, l’esclavage sexuel, la traite, la grossesse forcée, la prostitution forcée, les enlèvements, etc. À l’Extrême-Nord avec Boko Haram et en zone anglophone où sévissent des groupes armés sécessionnistes, il a été constaté que les femmes ne voulaient plus envoyer leurs filles à l’école, dans les lieux publics et au marché de peur qu’elles ne soient enlevées contre demande de rançon par les insurgés ou ne subissent les représailles des sécessionnistes (assassinats, exécutions sommaires, expéditions punitives, etc.). Les filles et femmes qui sont les plus vulnérables et déjà traumatisées par la situation sécuritaire sont davantage exposées aux risques de violence basée sur le genre (VBG), d’abus et d’exploitation sexuelle.

Par ailleurs, les crises sécuritaires ont un impact sur l’accès des femmes aux services sociaux de base, comme l’éducation, la santé et l’économie. Touchées par la violence, les femmes ne sont plus à même de mener des activités économiques productives, ni d’assumer leur rôle dans l’éducation des générations futures. Elles subissent alors plusieurs contraintes économiques liées à l’accès à l’information, l’accès à la terre, l’accès au financement, l’accès aux intrants et autres technologies, l’accès à l’entrepreneuriat et les contraintes de temps.[2]

Enfin, la précarité des femmes et jeunes filles vivant à proximité des zones rouges les rend perméables aux offres alléchantes et discours radicaux auréolés d’un bon sens tronqué, diffusés par les terroristes.

Femmes « actrices » de la radicalisation et de l’extrémisme violent

Par des stéréotypes et préjugés exagérés, les femmes sont souvent considérées comme des victimes passives dépourvues de moyens d’agir, mais coupables par leur association/complicité avec des hommes militants de groupes armés extrémistes. Cette perception est bien sûr parcellaire et lacunaire, mais aussi, traduit assez mal la réalité des faits. Les femmes et jeunes filles peuvent en effet agir pour le compte des terroristes après avoir été enrôlées, radicalisées de force par eux ou après s’être radicalisées elles-mêmes et rejoignent les groupes terroristes de leur propre gré. Cela arrive plus facilement lorsqu’elles partagent sans réserve l’idéologie de ces groupes ou encore lorsque victimes d’abus de la part des autorités légitimes, elles adhèrent à des groupes pour se venger, faire « bouger les lignes par elles-mêmes ».

Au Cameroun par exemple autant Boko Haram que les sécessionnistes se servent des femmes pour atteindre leurs macabres desseins. Ils utilisent ainsi les femmes et jeunes filles comme véritables armes, stratégie de guerre et espace de terreur physique et psychologique. Comme ces dernières ne sont pas à première vue considérées comme une menace, les terroristes en profitent et les utilisent pour contourner les forces gouvernementales et fonctionner comme messagères, contrebandières, espionnes, recruteuses, formatrices ou soldats. Ces dernières années, les auteurs d’attentats suicides ont davantage été des femmes et des jeunes filles, qui opéraient comme kamikazes. Toutefois, une militante des droits de l’homme intervenant localement sur les théâtres de conflits armés a fait savoir que c’est la pauvreté, et non la conviction idéologique, qui est plus souvent la raison pour laquelle les jeunes garçons et filles sont recrutés dans les groupes djihadistes. Ils reçoivent une rémunération modeste, mais significative pour leur adhésion – c’est-à-dire, lorsqu’ils s’engagent volontairement au lieu de se faire enlever alors qu’ils ramassent du bois ou travaillent dans les champs, vu que l’enlèvement est un moyen important par lequel les terroristes remplissent leurs rangs.[3]

Femmes « préventrices », médiatrices de la radicalisation et de l’extrémisme violent

Selon une étude, « l’intégration d’une perspective de genre constitue un préalable nécessaire pour réussir à prévenir et à contrer l’extrémisme violent et pour instaurer des mesures de lutte contre le terrorisme qui ne portent pas atteinte aux droits fondamentaux. En outre, il est possible de concevoir et de mettre en œuvre les initiatives à cet effet de façon à réaliser les objectifs de l’agenda « Femmes, paix et sécurité », qui visent à amplifier la voix, la participation et les responsabilités des femmes et à renforcer leur protection afin de mieux prévenir les conflits »[4].

En effet, l’apport qualitatif des femmes dans la PREV a été souligné autant par de nombreux organismes nationaux et internationaux, acteurs de terrain, communauté scientifique que par des États. En pratique, les femmes deviennent très souvent le pilier des familles pendant les périodes troubles, de destruction massive et d’instabilité politique et économique ou en cas de décès des hommes dus aux groupes terroristes. Sous cette posture, elles contribuent parfois (lorsqu’elles ne se radicalisent pas elles-mêmes) à faire en sorte que les traumatismes subis ne se muent en facteurs de la radicalisation menant à la violence, en particulier chez leurs enfants et familles. De nombreux programmes initiés par la société civile et les organismes internationaux basés dans les lieux de crise (surtout au Grand Nord) ont mis en évidence le fait que des membres des groupes armés, enfants et époux avaient été très sensibles et positivement marqués par l’implication de leurs mères pour leur faire cesser les combats et renoncer à poser des actes violents.

Conscients des possibilités offertes par la participation des femmes dans la prévention des conflits et consolidation de la paix, l’État camerounais a pris des mesures pour améliorer leur outillage et prise en compte. C’est ainsi par exemple que des ateliers de renforcement des capacités des femmes et jeunes filles à l’éducation citoyenne, culture de la paix et vivre ensemble ont été organisés sur toute l’étendue du territoire en partenariat avec les PTF. Par ailleurs, dans le cadre du Plan triennal spécial jeune (PTS-Jeunes) et le Programme de Désarmement, de Démobilisation et de Réinsertion (PDDR) lancés par le Gouvernement, 59 cadres de jeunesse et d’animation dont 7 de sexe féminin avaient suivi une formation militaire de 45 jours au cours du premier trimestre de l’année 2019. Cette formation visait à faire de ces cadres de jeunesse, des formateurs capables de servir sur toute l’étendue du territoire national, y compris dans les zones de conflit où ils pourraient s’imposer comme des acteurs de paix en formant les populations locales sur les valeurs de paix et de réarmement moral.[5] 


 

* Extrait du Rapport du CEIDES intitulé : « Etude internationales sur les dispositifs de prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent dans l’espace francophone, cas du Cameroun », une étude du Centre africain d’études internationales, diplomatiques, économiques et stratégiques (CEIDES), 2021, pp 84-86.

[1] Informations compilées dans le Rapport de l’État du Cameroun au titre du 25e anniversaire du programme et de la plateforme d’action de Beijing (2014-2019), mai 2019, p.19.

[2] Plan d’action national de la Résolution 1325 et des Résolutions connexes du Conseil de Sécurité des Nations-Unies sur les Femmes, la Paix et la Sécurité (2018-2020), p.28.

[3] Se battre comme une fille ? Les batailles les plus dures au Cameroun sont menées par des femmes et des filles, CSPPS, https://www.cspps.org/fr/batailles-plus-dures-cameroon-par-femmes-et-filles

[4] DCAF, OSCE/ODIHR et UN Women, « La place du genre dans la prévention de l’extrémisme violent et la lutte contre le terrorisme », dans Boîte à outils Genre et sécurité, Genève : DCAF, OSCE/ODIHR et UN Women, 2019.

[5] Rapport de l’État du Cameroun au titre du 25e anniversaire du programme et de la plateforme d’action de Beijing (2014-2019), p.119.

Translated to english by ALICE ROGERS

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